Un ascenseur pour nos impôts un échafaud pour les services. Saison 2 –

Quand les réseaux sociaux et les associations locales s’emparent d’un débat qu’on leur a refusé. La genèse d’un combat pour la libération d’une expression citoyenne bâillonnée.

L’enquête publique n’a pas été interrompue. Le commissaire enquêteur a récolté les contributions déposées en mairies (La Ciotat et St Cyr/Mer). Parmi les plus argumentées celle de l’association locale de défense du Parc des Calanques : l’Union Calanque Littoral ici présidée par Henry Augier, entre autres titres ; directeur du laboratoire de biologie marine fondamentale et appliquée à la Faculté des Sciences de Marseille-Luminy et auteur de « Le livre noir des boues rouges ». Il répond à une demande de Gérard Rivoire (son homme de barre), Chevalier du mérite maritime, moniteur national de plongée, farouche défenseur du milieu biologique marin, missionné à plusieurs reprises pour des diagnostics scientifiques et à l’origine d’un bon nombre de victoires juridiques contre des projets à risques. Un demi-siècle de combat contre Altéo qui a déversé et déverse encore (avec l’absolution de l’Etat) ses déchets polluants au large de Cassis (la commune voisine). Début janvier, ils déposent dans les mains du commissaire enquêteur les contributions des associations qui visent à :

  • relever les vices de formes,
  • mettre en doute les capacités financières de LCS pour assurer un tel programme avec les risques environnementaux qu’il comporte (le dossier présenté ne traite pas ce sujet alors qu’une partie des travaux sous rubrique ICPE l’impose),
  • souligner le caractère éphémère d’un marché très limité et à forte concurrence,
  • imposer un débat public rendu obligatoire par le volume financier programmé sur le site des chantiers navals.
  • Protéger l’environnement des risques d’agressions liées au décapage des peintures anti-fouling chargés de métaux lourds et aux amarres qui menaces la posidonie qui peuple le secteur.
  • Si une autorisation était donnée, envisager un Comité de Suivi de Site pour contrôler les opérations.

 La dynamique est crée. Dans la foulée, d’autres associations apportent leurs contributions en relevant les mêmes risques et lacunes. Les documents remis au commissaire enquêteur sont mis en ligne sur le site de la préfecture des Bouches du Rhône ici et les réseaux sociaux s’emparent du débat que les autorités ont eu tant de mal à verrouiller ici et ici . Les Verts du Golfe remettent leur contribution, puis les Verts de Saint-Cyr, la commune voisine, regroupés dans le Rassemblement Pour la Transition écologique et solidaire (RPT) s’engagent dans une séance de tractage sur le marché du dimanche 12 janvier.

Le 13 janvier le site Facebook des « Les Ciotadens Vigilants » publie un texte qui reprend le contexte règlementaire et qui se termine par : « L’article R121-2 du code de l’environnement est pourtant clair. Nos élus auraient-ils voulu éviter le débat public pour signer le marché MB92 avant d’obtenir l’autorisation d’aménager? Quelles conséquences sur les finances publiques si à l’issue du débat démocratique le projet est annulé ? Quoi qu’il en soit, pour l’heure, on voit mal comment le commissaire enquêteur pourra ignorer ce vice de forme dans son avis sans proposer l’interruption de l’enquête. »

En 4 jours le nombre de contributions en ligne est décuplé.

Le 14 janvier, la Société Publique Locale « La Ciotat Shipyards » publie un démenti ici

 Le 15 janvier une réponse est publiée « chez les Vigilants » :

« La société La Ciotat Shypyards s’estime victime d’une campagne de désinformation et pour se justifier, elle donne certaines informations plutôt contestables :

LCS ne vivrait pas de l’argent public : c’est un peu « fort de café » ! Si dans une société, les actionnaires retirent « leurs billes », que fait la société, elle meurt ou elle cherche d’autres actionnaires. Actuellement, les actionnaires c’est nous, les contribuables qui ont mis « leurs billes » dans l’entreprise par la voix de leurs représentants. Si elle meurt parce qu’elle a fait de mauvais choix, permettez au moins que ses actionnaires s’expriment dans les conditions fixées par la règlementation et contenues dans les textes suivants : ……………

En clair, cela démontre que la saisine de la CNDP n’est pas « facultative » (d’ailleurs ce mot n’apparaît pas dans le texte et on imagine mal que le Conseil d’Etat ait pris position sur des dispositions « facultatives »). Cela veut dire aussi que LCS devait informer la CNDP des modalités de consultation de « ses actionnaires », NOUS, afin que la CNDP définisse les conditions de la concertation. D’ailleurs, à aucun moment dans sa réponse, LCS n’apporte la preuve d’une concertation publique (ce que demande la CNDP). Il aurait été si facile de produire la réponse de la CNDP, informée comme il se doit, ainsi que le bilan de cette concertation. Par exemple, si on juge, à ce jour 14/01/2019, de l’impact que ce projet a sur la population, via l’enquête publique, on peut tirer quelques enseignements des contributions dématérialisées recueillies par la préfecture : 13 avis produits, 6 pour et 7 contre. Parmi les 6 avis « pour », 3 émanent du personnel de NB92, attributaire du marché. Chacun appréciera s’ils doivent ou pas jouer dans la balance. En matière de transparence : peut mieux faire !

Pour le reste, il faudrait être Madame Soleil pour connaitre l’impact réel de ce projet sur l’écologie et l’économie du site. Un fait est certain, à raison de 25 mégayachts par an répartis sur 5 ou 6 sites potentiellement accessibles en Méditerranée, il faudra « graisser » l’ascenseur pendant les temps morts. »

A la date de clôture de l’enquête publique, le 15 janvier 2020, le résultat est le suivant :

104 contributions dématérialisées ont été produites:

21 sont pour le projet dont 6 avis donnés par le personnel NB92 et Compositeworks (deux sociétés présentes sur les chantiers navals. BN92 doit d’ailleurs réaliser l’ascenseur).

et 1 avis donné par TSM3D qui ne payait toujours pas de loyer sur les CNC en 2017 faute à la Métropole de ne pas mettre à jour sa convention (source SEMIDEP).

82 sont contre le projet avec

   – 55 avis redondants qui montrent un certain manque de courage pour formuler des arguments personnalisés. Ceci dit, les participants se retrouvent peut-être dans l’avis exprimé notamment par JF M. (le premier texte qui apparaît dans la liste de textes identiques). Les autres sont des copies mais, impossible ici de savoir qui a fait l’original.

   – 2 avis reprennent partiellement l’argumentaire de l’Union Calanques Littoral.

1 avis est hors sujet, il concerne l’enquête de l’Ile verte (une autre enquête qui se déroulait en même temps).

Au final, sur 103 avis, 82 se prononcent contre soit (80 %)

                                   21 se prononcent pour soit (20 %)

Ce résultat n’a pas valeur de référendum, mais il traduit globalement le sentiment qui aurait pu ressortir d’un débat public s’il avait eu lieu. Si l’on peut reprocher à certains.nes d’avoir recopié un texte pour formuler leur avis, on peut aussi reprocher à d’autres, en raison de leurs liens avec le maître d’ouvrage, de se situer dans le conflit d’intérêt.

 Le 17 janvier Marsactu (le Médiapart Local) publie un article ici   qui reprend les arguments présents dans les contributions et relate l’entretien avec le commissaire enquêteur plutôt surpris de l’affluence engendrée par « le bouche à oreille ». C’est la démonstration que les réseaux sociaux sont plus efficaces que les médias traditionnels pour ouvrir un débat volontairement muselé.

Le 23 janvier, France Nature Environnement est informée de la présence de vices de forme dans le dossier mis à l’enquête publique. On connaît ses capacités à exiger l’application du droit et les associations locales comptent sur sa combativité pour en faire la démonstration une fois de plus.

Le 7 février (à quelques jours de la remise du rapport du commissaire enquêteur) les « Verts » de St Cyr sur Mer (RPT) écrivent  au Préfet des Bouches du Rhone pour « lui mettre la pression » (copies aux Préfets de Région et Préfet du Var, ministères de l’intérieur et de l’environnement) en rappelant l’absence de débat public. Un vice de forme qui pourrait conduire à « la répétition d’un scénario navrant auquel il nous a été donné d’assister, impuissants, à Notre-Dame-des-Landes ou encore au barrage de Sivens. »  Assisterait-on à la naissance de la ZAD de la plus belle baie du monde?

L’étape suivante ce sera la production du rapport du commissaire enquêteur mi février, qui, on l’imagine, aura pris l’attache de quelques destinataires de la contribution de l’Union Calanques Littoral et de la lettre de RPT dans lesquels figurent les Préfet du 13 et du 83, le Préfet de Région, Chantal Jouanno (CNDP) et la Présidente de la Compagnie Nationale des Commissaires Enquêteurs. La suite au prochain numéro……………….