En Rade de chauffage! La guerre du gaz commence.

« Nous sommes en guerre »… probablement, mais les français sont-ils prêts à la faire ? Marseille : la ville phare du sud de la France reçoit du soleil les calories que le reste du pays cherche en vain. C’est pourtant ici que commence à se manifester la peur d’avoir froid.

« Tout faire pour que la situation des Français s’améliore » disait notre Première ministre devant l’assemblée nationale à l’occasion du conflit qui oppose les salariés de la pétrochimie à leurs directions. La France devait mettre l’économie russe « à genoux » et finalement c’est Jo Biden qui a tenu la promesse faite en février : « …il n’y aura plus de Nord Stream 2 ». Les pénuries s’annoncent donc et les réactions des français sont toujours aussi prévisibles.

Le décor

La Rade est une résidence de 4 bâtiments de 3 à 4 niveaux implantée  sur un terrain de 6 000 m² environ. Ils ont été construits à la fin des années soixante en rive du boulevard Fenouil, à la limite de l’Estaque (à l’Ouest) et de St Henri (à l’Est) ; ces deux quartiers du nord de la ville jouissent d’une position plutôt privilégiée entre les collines de La Nerthe et le port de l’Estaque qui a conservé son caractère de « plaisance » à l’extrémité du port de commerce. Cette copropriété d’une cinquantaine de logements a toujours été gérée par un syndic agissant bénévolement, suivant l’expression consacrée : « en bon père de famille », pour des habitants, majoritairement retraités issus, pour la plupart, d’une classe ouvrière plutôt aisée. 

La guerre du gaz a commencé

Cet ensemble est chauffé au gaz par une chaudière centralisée qui distribue à la fois de l’air chaud via des échangeurs et de l’eau chaude sur un réseau de radiateurs. L’eau chaude sanitaire est fournie par des chauffe-eau électriques individuels et les cuisines sont alimentées en gaz séparément. Mais voilà, le contrat de fourniture de gaz avec Engie se termine: pas de chance. C’est précisément en cette période tourmentée que les tarifs du gaz sont décuplés et les revenus des occupants (locataires ou propriétaires) ne pourront pas suivre. Fin septembre, le syndic décide donc de couper le gaz et propose aux propriétaires réunis en assemblée de gérer la situation par l’acquisition groupée de convecteurs électriques. Si les installations peuvent tenir sans trop de problème en utilisant des prises conformes à la règlementation, passer du gaz à l’électrique sur des installations qui n’ont pas été conçues pour ça relève d’un « bricolage » plutôt suicidaire. D’autant que les solutions proposées masquent plus ou moins volontairement que les puissances appelées ne suffiront pas à maintenir une température « satisfaisante » dans les locaux.

Cette situation résulte de l’application du décret du 9 avril 2022 signé par Jean Castex juste avant qu’il ne parte. Le syndic l’a d’ailleurs alerté dans une lettre qui n’a jamais reçu de réponse. Ce décret établit des seuils de consommation au-delà desquels le tarif règlementé du gaz (TRG) ne s’appliquera pas. Il semble (d’après le site Banque des Territoires) que l’article 3 (véritable usine à gaz, c’est le cas de le dire) conduise à limiter l’éligibilité au TRG aux copropriétés dont la consommation annuelle est inférieure à 150 MWh par an.

La résidence La Rade consomme environ 700 MWh/an et n’est donc pas éligible alors que la consommation moyenne par logement ne dépasse pas les 14 000 KWh/an qui est la moyenne nationale pour les logements. De plus, les équipements techniques qui ont pour but de regrouper la production d’énergie (chaufferie centrale, réseaux de chaleur…) ont toujours été préférés aux équipements individuels moins performants.  

Pour Thomas Rudigoz (député Renaissance) qui pose une question au gouvernement (réponse à venir) concernant les copropriétés chauffées à l’électricité, le tarif règlementé qui s’applique aux copropriétés qui se chauffent au gaz est acquis. Cette question a l’avantage de faire la démonstration que nos élus (y compris ceux de la « majorité ») n’ont pas intégré les effets de seuils du décret qui conduisent à faire une différence de traitement entre les particuliers dans l’accès à l’énergie. Lors de la séance du 11 octobre 2022, M. Rudigoz n’a toujours pas posé sa question qui reste donc sans réponse. Sera-t-elle supprimée?  

Cette disposition impose aux syndics d’adopter des mesures particulièrement contraignantes voire dangereuses en demandant aux propriétaires d’équiper les logements de convecteurs électriques alors que ni les puissances souscrites auprès d’EDF, ni les installations électriques ne sont adaptées aux puissances appelées. Il serait dommage de condamner un équipement performant qui a généré des structures particulières dans les logements (échangeurs, gaines de diffusion d’air chaud, radiateurs…) pour des orientations qui ne peuvent être que temporaires. Par ailleurs, si ces transferts (gaz vers électricité) se multiplient, le réseau EDF ne résistera pas et les coupures auront des effets dévastateurs. 
 

La guerre de l’électricité s’annonce

S’il est une réaction en chaîne que notre gouvernement n’a pas prévue (comme les autres d’ailleurs), c’est bien celle qui se produit en ce moment à la résidence La Rade à Marseille.

« Nous n’avons plus de gaz : qu’à cela ne tienne, passons à l’électrique ! »

Plus de 11 millions de logements (40% du parc ) individuels ou collectifs sont chauffés au gaz en France avec une consommation moyenne de l’ordre de 14 000 kwh/an et par logement. La portée du décret du 9 avril engendre l’application du tarif règlementé pour 5 millions d’entre eux. Reste donc 6 millions de logements qui sortent de ce cadre règlementaire.

  Une centrale nucléaire de 900 MW produit 500 000 MWh/mois qui correspondent à la consommation de 400 000 foyers (c’est aussi le nombre de foyers chauffés au gaz à Marseille). Si tous les logements exclus du tarif règlementé actuellement chauffés au gaz  passent à l’électrique, en lissant la consommation sur l’année (certains diront que c’est peu réaliste puisque la consommation mensuelle n’est pas répartie de façon identique sur l’année), il faudrait près de 15 fois la production mensuelle d’une centrale de 900 MW pour assurer ce transfert. En d’autres termes, la consommation d’électricité qui s’établit en 2019 à 150 TWh/an dans le secteur résidentiel serait augmenté de 56% (6 millions x 14 000 KWh/an = 84 TWh) alors que le parc nucléaire est aujourd’hui réduit de 50%. Un objectif qui était prévu pour 2035 mais que les circonstances (corrosion sur de conduites) conduisent à une application anticipée. Autant dire que les coupures seront nombreuses et que les températures auront du mal à se maintenir dans tous les logements (toutes énergies confondues hors renouvelables ne transitant pas par le réseau EDF).

Nous assistons donc à des comportements plutôt individualistes comparables à ceux constatés devant les stations de distribution de carburant ces derniers jours. Mais plutôt que de globaliser les problèmes pour envisager des solutions adaptées à la crise, notre gouvernement s’obstine dans sa volonté de diviser les français et semer le chao.  

Dans les Bouches-du-Rhône on n’a pas de centrale, mais on a du biogaz.

En effet, les stations d’épuration du département produisent un volume de boues traitées dans les méthaniseurs de l’usine de Sormiou. En février 2020, elle avait une production de biogaz correspondant à la consommation de 2 500 foyers. Il en faudrait 160 pour fournir les besoins en gaz des logements marseillais raccordés. On est donc loin du compte. Toutefois, les investissements opérés dans ce genre d’installation démontrent que l’abandon du gaz dans le mix énergétique n’est pas d’actualité, bien au contraire.