Notre côte bleue en voit de toutes les couleurs. On était loin d’imaginer que les « usages technologiques » destinés au traitement des eaux usées de nos collectivités pouvaient engendrer des réactions en chaîne « naturelles » qui mettent en danger la vie aquatique et probablement la santé des baigneurs. Les contrôles de conformité des eaux de baignades ne recherchent pas Prorocentrum minimum.
Les derniers évènements liés aux dysfonctionnements des stations d’épuration de Cassis et La Ciotat dans le Parc National des Calanques ont mis en évidence une utilisation « peu habituelle » de composés ferriques dans la chaîne de traitement des eaux usées de ces communes.
1) Rappels
Le 20 juin 2019, une vidéo réalisée par un plongeur (Nox Diving) ici fait apparaître des colonnes de liquide noir qui se dégage du rejet en mer de la station d’épuration de Cassis. En réponse à cette alerte, la Maire de Cassis ici justifie ce phénomène en évoquant une avarie (incendie sur une armoire électrique) qui contraint l’exploitant de la station d’épuration à mettre en œuvre une procédure de fonctionnement dite « mode dégradé » (depuis elle a supprimé cette vidéo au discours « scientifique » peu étayé). Elle parle « d’oxydes ferriques » utilisés dans le cadre de cette procédure et indique, en gros qu’elle est sans danger sur l’environnement. Elle utilise même les termes « purifier l’eau». On ne reviendra pas sur le coût des travaux annoncés : 1 M d’euros qui met le coût du composant électrique voire électronique à un niveau rarement égalé.
Le 2 juin, une vidéo qui montre le point de rejet de la station d’épuration de La Ciotat ici fait apparaître une eau très colorée « marron/grise ». De source non officielle, comme à Cassis, cette coloration serait liée à l’incorporation de composés ferriques dans le traitement des eaux usées.
2) Utilisation des composés ferriques dans le traitement des eaux usées
Le chlorure ferrique et sulfate de fer sont en effet régulièrement utilisés dans les stations d’épurations. Le premier est un floculant (ou coagulant) qui permet notamment de traiter les phosphates (présents dans les lessives entre autres) en les précipitant au fond des bassins avec les boues décantées. Le second a une action destructive sur les bactéries filamenteuses qui colonisent les boues et empêchent leur décantation (flottants qui résultent de la fermentation et apparaissent en surface des bassins).
Toutefois, ces apports de composés ferriques se font le plus souvent dans les bassins d’oxygénation (la partie médiane du traitement biologique), jamais en fin de chaine où leur efficacité serait minime et il est généralement recommandé de ne pas les rejeter au milieu naturel (voir la fiche de sécurité). Sur ces deux stations et probablement sur toutes les stations équipées d’une biofiltration à flux ascendant d’eau et d’air, il semble que les composés ferriques soient utilisés pour supprimer la gangue bactérienne ou les champignons microscopiques présents dans le sable de filtration. On limite ainsi les colmatages, mais il est probable que ce mélange (fer + bactéries) se retrouve en mer. On a du mal à imaginer que les composés ferriques soient présents en mer sans les bactéries. D’ailleurs, les odeurs diffusées aux points de rejets témoignent de leur présence. Cette méthode permet certainement de faire des économies par rapport à la méthode prescrite : lavage du sable et traitement des eaux de lavage.
3) Quand le noir vire au rouge
Contrairement aux affirmations de la Maire de Cassis, il apparaît que le rejet en mer de ces composés ferriques ne soit pas si neutre que ça. En effet, il engendre la prolifération d’un phytoplancton nommé Prorocentrum minimum bien connu des pêcheurs et des plongeurs (même si ce nom n’est pas entré dans le vocabulaire courant de l’espace maritime). Les premiers constatent régulièrement en remontant l’ancre de leur bateau ou leurs filets que les cordages sont englués dans une matière visqueuse et malodorante qui a même tendance à irriter les mains. Les seconds se demandent bien souvent à quoi est dû ce bloom qui les empêche de voir à plus de deux mètres de distance. Les derniers signalements ont eu lieu dans le Parc National des Calanques entre le point de rejet de la station d’épuration de Marseille (Cortiou) et l’archipel de Riou. Généralement ce « bloom » s’accompagne d’odeurs nauséabondes.
Une étude de l’Ifremer ici réalisée en 1987 au large de Toulon à proximité du rejet de la station d’épuration a mis en évidence la présence de cette micro-algue dont le développement est exponentiel dès lors que la teneur en fer des eaux qu’elle colonise augmente. Sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, elle pointe un périmètre particulièrement impacté qui va en gros de Sète à Toulon. (pour plus de détail, chargez le .pdf)
4) Prorocentrum minimum « une algue unicellulaire néritique »
L’étude de l’Ifremer ici précise: « Les intoxications et nuisances dues aux algues unicellulaires marines semblent, en France comme dans le reste du monde, gagner en étendue et en fréquence. Ceci justifie le maintien ou l’extension d’un réseau de surveillance permanent et le développement de recherches pluridisciplinaires coordonnées. ». Ce texte date de 1991…
Celle de 1987 ici indique: « Le traitement des effluents urbains au chlorure ferrique à la station de Toulon produit au rejet des teneurs en fer excédant largement les valeurs moyennes en eau de mer. Une incidence potentielle sur le phytoplancton d’eau rouge a été envisagée, et en particulier sur Prorocentrum minimum, espèce dont les blooms sont de plus en plus fréquents sur le littoral méditerranéen. Des sels ferreux et ferriques à degré de solubilité variable en eau de mer ont été testés sur la croissance de cet organisme. Toutes les formes expérimentées améliorent considérablement la croissance par rapport à une eau de mer carencée en fer, en particulier le citrate ferrique. L’espèce étudiée semble pouvoir être considérée comme « 0pportuniste » compte tenu de sa capacité à utiliser aussi bien le fer particulaire ou soluble. »
Les risques sur la santé sont rappelés en 1990 ici : « Outre la production d’une toxine spécifique (vénérupine) qui se concentre dans le foie des consommateurs, P. minimum est connu pour un certain nombre de propriétés physiologiques qui concourent probablement à déclencher et entretenir sa prolifération : forte concentration en pigments photosynthétiques accessoires (péridinine), adaptation rapide à de forts gradients d’énergie lumineuse, capacité de migration verticale, émission d’une substance antibactérienne (B-dicétone) et d’une molécule chélatante activant l’assimilation du fer (prorocentrine), bonne tolérance enfin à la présence d’hydrocarbures – et même stimulation de la croissance à certaines concentrations de polluant. P. minimum prolifère essentiellement dans les eaux très côtières, estuariennes ou portuaires, ceci à des époques diverses de l’année. Cette petite algue (une lenticule de 20 /lm) doit donc être tenue pour potentiellement redoutable, surtout depuis qu’elle a été signalée sur nos côtes en diverses stations de l’Atlantique et au débouché du Rhône (sans toutefois y causer de dommage). »
5) Conclusion :
Pour la commune de Cassis, il apparaît que les rejets en mer de composés ferriques soient liés à une procédure « exceptionnelle » plus ou moins admises par les textes. Toutefois, il demeure que les élus devraient se rapprocher d’un support scientifique compétent avant de « rassurer » la population sur les pollutions potentielles à proximité de ces plages.
Pour la commune de La Ciotat, le problème est différent car depuis les constats des 2 mars – 9 mars – 30 avril – 2 mai – 30 mai – 2 juin, (voir l’article ici ) l’eau n’a pas vraiment changé de couleur et les gestionnaires nous disent : « il n’y a pas de problème à la station ». S’il s’agit de rejets contenant des composés ferriques (argument qui tendrait à vouloir minimiser la pollution), il demeure qu’ils ne sont pas admis dès lors que l’arrêté d’exploitation de la station d’épuration est respecté.
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