Un ascenseur pour nos impôts un échafaud pour les services. Épilogue –

L’enquête publique est terminée, l’arrêté d’autorisation est délivré, les recours gracieux et hiérarchique, déposés mais Corona et le remaniement sont passés par là. Il n’y a plus d’abonné aux services sollicités. Une patate chaude qui n’a plus d’amateur.

…/… 

     Comme on pouvait s’y attendre, le commissaire enquêteur n’a pas osé prendre position sur l’obligation règlementaire d’organiser un débat public. A défaut de pirouette, M. Chopin a donc ajouté une « valse » à son répertoire. Dans son rapport remis le 14 février 2020, ici , il indique page 74 qu’il « …n’a pas à dire le droit. En revanche, il est vrai qu’un large débat public local organisé en amont, ce qui ne semble pas avoir été le cas, aurait permis à la population de s’approprier le projet : la déclaration d’intention, certes légale et respectée par le MO, étant passée quasiment inaperçue. »

 Il avait pourtant tous les textes à sa disposition, les déclarations du maire de La Ciotat et l’avis de la MRAE qui demandait au maître d’ouvrage de prendre en compte dans son étude d’impact le projet d’ascenseur et les aménagements pour les entreprises, mais le dossier était probablement trop « sensible » pour rappeler (à défaut de la « dire ») la loi dans le tempo règlementaire. A sa décharge, il appartenait bien à la MRAE de relancer La Ciotat Shipyards pour obtenir le chiffrage complet de l’opération, ce qu’elle n’a pas fait et qui est contraire à l’article L122-1 du code de l’environnement. Le dépassement du seuil de 75 millions d’euros aurait contraint les autorités à demander le débat public.

Premier courrier adressé au Préfet 

 Le 24 février 2020, un courrier est présenté à M. le Préfet des Bouches-du-Rhône ici . L’argument principal qui souligne le vice de forme est le suivant : Le chiffrage global (Ascenseur, Port à sec, Village) a été rappelé par M. Chopin, page 72 de son rapport. L’estimation est de 81. 65 M€. Ce montant est bien supérieur au seuil visé par l’article L 121-8 II qui impose au demandeur d’informer la CNDP des modalités d’organisation d’un débat public dès lors que le coût d’opération dépasse 75 M€ (conformément à l’article R 121-2 du CE – 3- Aménagements portuaires). Si LCS a bien établi une déclaration d’intention, en l’état actuel du droit, cette procédure ne peut pas se substituer à la mise en place d’un débat public.

 Une copie de cette lettre a été adressée à :

La Ministre –  Ministère de la Transition écologique et solidaire (E. BORNE)

Le Préfet du département du Var :

Le Préfet de Région PACA

Le Président du Tribunal Administratif de Marseille,

Le président du tribunal administratif de Toulon,

Chantal Jouanno, Présidente de la Commission Nationale du Débat Public.

Brigitte CHALOPIN, Présidente de la Compagnie Nationale des Commissaires Enquêteurs.

 L’autorisation environnementale est délivrée.

 Aucune réponse n’a été donnée au premier courrier, mais le 6 mars 2020, le Préfet de Région PACA (Autorité Environnementale), qui est également Préfet de la zone de défense et de sécurité Sud, et Préfet des Bouches du Rhône a donc, sur proposition du directeur de la DDTM, délivré son autorisation ici . Globalement, les prescriptions listées par la MRAE dans le cadre de l’étude d’impact sont reprises dans l’arrêté. Parmi les dispositions imposées au maître d’ouvrage (La Ciotat Shipyards) on peut noter la présence d’un « ingénieur écologue » rémunéré par le maître d’ouvrage (schéma qui devient habituel même si la catastrophe Lubrizol a souligné les failles de ce type de contrôle effectué par un contrôleur payé par le contrôlé…).

 Une « faveur » a également été accordée aux associations locales de protection de l’environnement : la création d’un « comité de suivi environnemental ». Malheureusement, lorsqu’on prend connaissance des conditions dans lesquelles il est créé et la fréquence des réunions, on ne peut que constater qu’il ne servira pas à grand-chose. L’article concerné est reproduit ci-après :

Article 9 de l’arrêté d’autorisation : « Comité de suivi environnemental 

 Dans un délai d’un mois suivant l’engagement des travaux, le bénéficiaire met en place un comité de suivi environnemental. Ce comité présidé par le préfet des Bouches-du-Rhône et dont le secrétariat et la logistique sont à la charge et assurés par le bénéficiaire, a pour mission de :

  • valider les modalités de mise en œuvre des suivis en phases en travaux puis d’exploitation,
  • analyser les résultats des suivis et établir des recommandations, le cas échéant, pour réguler les impacts du projet.

Le comité de suivi environnemental est notamment composé :

  • du bénéficiaire accompagné, pendant la phase travaux, de l’ingénieur écologue visé à l’article 5-7 du présent arrêté,
  • du Parc National des Calanques,
  • de la mairie de La Ciotat,
  • de la mairie de St Cyr sur Mer
  • d’associations environnementales compétentes sur les domaines concernés,
  • de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer des Bouches du Rhône,
  • de la direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement.

La composition et les modalités de fonctionnement du comité de suivi environnemental sont soumis à la validation du préfet des Bouches-du-Rhône. Le comité est réuni à l’initiative et aux frais du maître d’ouvrage au moins une fois par an pendant les travaux et pendant les deux premières années d’exploitation. Notamment les frais d’études et d’expertises sont à la charge du bénéficiaire. »

Autant dire que le préfet a écarté l’idée d’avoir un suivi régulier des opérations qui vont se réaliser sur ce site. De plus, l’association désignée dans ce comité est l’Atelier Bleu implantée à La Ciotat. Comment cette association, probablement sincère et efficace par ailleurs, peut-elle avoir un œil critique à l’égard d’un programme géré par des collectivités qui la financent ? On assiste donc à un verrouillage digne d’une opération mafieuse.  

Recours gracieux

 Les délais de recours contre ce type d’arrêté préfectoral sont de 4 mois.

 Le 10 mars 2020, un nouveau recours est présenté au Préfet des BdR ici . Il rappelle le vice de forme pour absence de débat public et un nouvel aspect qui a fait l’objet d’une jurisprudence : l’autonomie de la MRAE (qui délivre un avis sur l’étude d’impact) doit être démontrée. L’avis remis dans le cadre de l’étude d’impact n’étant pas signé, difficile de conclure sur l’autonomie réelle de ce service.

Le complément est donc le suivant : « Par ailleurs, l’avis MRAe délivré le 31 octobre 2019, joint au dossier d’enquête publique,  n’est pas signé. Il n’apporte donc pas la preuve de l’autonomie de l’Autorité Environnementale. Cette disposition pourtant essentielle résulte du paragraphe 1 de l’article 6 de la directive 2011/92/UE consécutif à la jurisprudence « Seaport » à la suite d’un recours porté par France Nature Environnement, (arrêt CJUE du 20/10/2011), et transposé à l’article R. 122-6 du code de l’environnement. Le Conseil d’Etat s’est notamment exprimé sur ce point en précisant :  » aux termes des décisions du Conseil d’Etat du 6 et 28 décembre 2017, l’Etat doit  garantir  une  séparation  fonctionnelle  entre  l’autorité  qui  instruit  une  demande d’autorisation et l’autorité qui émet un avis sur l’évaluation environnementale d’un projet. (cf. CE, 6 décembre 2017, n° 400559, CE, 28 décembre 2017, n° 407601).

En conséquence, je sollicite de votre haute autorité, l’annulation de l’arrêté portant Autorisation Environnementale que vous avez délivré à La Ciotat Shipyards le 6 mars 2020.

Il serait regrettable que l’absence de retrait de cet arrêté préfectoral litigieux soit susceptible d’entraîner une insécurité juridique pour le porteur de projet, d’autant qu’il a indiqué dans le passé que les Méga-Yachts pouvaient être pris en charge dans la forme de radoub. »

Le 26 mars 2020, ce n’est pas le Préfet qui répond mais le ministère de l’environnement ici (qui était en copie de la lettre du 24 février). Il sollicite une réponse du Préfet :

« … Ce sujet relevant plus particulièrement des attributions du préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, préfet des Bouches du Rhône, elle m’a chargé de transmettre votre envoi à son cabinet saisi par vos soin, en soulignant le sens de votre démarche et afin qu’une réponse vous soit apportée. »

Le 2 avril 2020 le Préfet daigne enfin répondre dans un courrier établi par la secrétaire générale de la Préfecture ici , dont le principal argument pour rejeter le recours est le suivant :

« …Ainsi dans son mémoire en réponse (p73) au procès-verbal de synthèse des observations écrites et orales du public du commissaire enquêteur, le maître d’ouvrage précise que le projet de village d’entreprises ne relève pas d’une infrastructure portuaire et qu’il est disjoint de l’opération relative à la plateforme. Il concerne la création d’un parc immobilier dédié aux entreprises dont il vise à combler un déficit actuel en locaux ; il n’y a donc pas de lien fonctionnel entre les deux opérations. Par ailleurs, le terrain d’assiette du village appartient à la Métropole d’Aix-Marseille-Provence et non au Conseil départemental qui dispose de la compétence dans le domaine portuaire.

                        Sur ce point, aucun élément nouveau ne permet donc de remettre en cause l’analyse du porteur de projet. »

Yachting Village « ne relève donc pas d’une infrastructure portuaire ». Il suffit de lire cet article https://gomet.net/les-chantiers-navals-de-la-ciotat/ pour être convaincu du contraire. Le « Village » est bel est bien créé pour loger des entreprises extérieures « recherchées par des grands groupes comme MB89 et Monaco marine » qui œuvrent dans le même domaine: le nautisme.

 Mais cet argument ne peut pas tenir et le Préfet le sait bien, car l’article L122-1 du code de l’environnement dispose : « Lorsqu’un projet est constitué de plusieurs travaux, installations, ouvrages ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, il doit être appréhendé dans son ensemble, y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l’espace et en cas de multiplicité de maîtres d’ouvrage, afin que ses incidences sur l’environnement soient évaluées dans leur globalité. » Ni les liens fonctionnels, ni la propriété des terrains d’assise n’interviennent dans les objectifs visés par cette règle. La volonté du législateur est ici clairement exprimée. L’étude d’impact doit prendre en compte tous les aménagements prévus sur la zone d’assise du projet sans distinction des acteurs en cause ou de la planification des travaux. C’est en fait un principe général que l’on retrouve aussi dans les PLU et qui consiste à globaliser les projets sur une zone avant, notamment, de l’ouvrir à la constructibilité.   

Nous sommes donc devant une volonté manifeste d’exonérer le porteur du projet du recours au débat public qui aurait pu convaincre que les yachts peuvent être entretenus ou réparés dans la forme de radoub sans qu’il soit nécessaire de construire un ascenseur de 65 millions d’euros qui représentent, à raison de 25 yachts par an (potentiel de demande en Méditerranée annoncé par LCS, en supposant qu’ils viennent tous à La Ciotat),  1 siècles et demi d’exploitation de la forme pour un coût unitaire de près de 18 000 euros par bateau.

Sur l’avis de la MRAE non signé la réponse est la suivante :

« …La décision du Conseil d’Etat du 6 décembre 2017 a conduit le ministre de la transition écologique et solidaire à confier aux MRAE la mission de rendre, dès la fin de l’année 2017, des avis sur les projets, pour une période transitoire dans l’attente d’un nouveau dispositif légal conforme à la directive « projets » et aux décisions successives du Conseil d’Etat. Il s’agit donc des formations régionales du Conseil Général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), qui constitue la formation nationale, et sont indépendantes du préfet de Région. Elles rendent ainsi des avis sur les projets ne relevant pas d’une autorité environnementale nationale (ministre chargé de l’environnement ou AE CGEDD)… »

Tout est dit dans ces quelques mots: « … dans l’attente d’un dispositif légal… » c’est la confirmation que l’avis rendu par la MRAE n’est pas légal.

 D’ailleurs, une surprise de taille intervient le 3 juillet 2020. Le décret 2020-844 arrive enfin pour mettre en conformité les dispositions liées aux avis MRAE. Il indique :

 Le décret réforme l’autorité environnementale et l’autorité chargée de mener l’examen au cas par cas pour les projets relevant du champ de l’évaluation environnementale. En application du V bis de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de l’article 31 de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, il distingue autorité chargée de l’examen au cas par cas et autorité environnementale…Il maintient la compétence du préfet de région pour mener, dans la plupart des cas, l’examen au cas par cas des projets locaux et confie à la mission régionale d’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable (MRAE) la compétence d’autorité environnementale pour ces mêmes projets. En conséquence de ces évolutions, il modifie différents articles du code de l’environnement, du code de l’urbanisme et du décret n° 2015-1229 du 2 octobre 2015 relatif au conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). (D’après la notice publiée avec le décret)

La MRAE est donc clairement désignée compétente et le Préfet de Région pourra donc signer ses avis (sous réserve qu’ils ne soient pas instruits par les services de la préfecture). Preuve supplémentaire que l’avis MRAE non signé délivré à La Ciotat Shipyards est illégal ; son autonomie ne pouvant être démontrée.    

Recours hiérarchique

 Le 23 avril un recours hiérarchique (Ministre / Préfet) ici est présenté à Madame Elisabeth Borne. Il reprend l’argumentaire transcrit ci-dessus et ajoute : « Dans ce contexte, il serait incompréhensible que l’Etat laisse les collectivités s’engager dans des projets « fantaisistes » sans aucune justification économique dès lors que les outils déjà présents sur place (les formes de radoub) peuvent répondre aux demandes sans frais supplémentaire et avec un nombre de personnels en augmentation si, comme le dit le porteur de projet, la demande augmente. L’annulation de ce projet ne serait donc pas une entrave au développement de l’emploi. »

Le 22 mai 2020 le ministère répond ici qu’il a transféré « la patate chaude » au directeur général des infrastructures, des transports et de la mer « qui apportera une réponse dans les meilleurs délais ».

Le 28 juin 2020, aucune réponse n’a été apportée à ce recours et un courrier de relance en RAR est adressé au ministère (la nouvelle « locataire » étant B. Pompili) ici. Il indique notamment : «  Je suppose que le service que vous avez sollicité n’est pas directement impacté par la pandémie et que sa charge de travail n’a pas significativement été impactée comme aurait pu l’être un service de santé. Je me permets donc de vous solliciter à nouveau afin d’obtenir une réponse à ma lettre du 23 avril 2020. »

Le 11 août 2020, devant le mutisme des autorités, le défenseur des droits est saisi. Près d’un mois plus tard, aucune réponse d’un service qui a pourtant montré à plusieurs reprises sa volonté de faire respecter les règles de la République. Les délais de recours contentieux étant dépassés, plus personne ne semble motivé pour apporter à ces évènements l’éclairage qu’ils méritent. France Nature Environnement, dont le président a été informé du recours gracieux au préfet est restée totalement absente du débat alors qu’elle est à l’origine de la jurisprudence Seaport ; probablement une réserve liée aux élections municipales.

Le préfet a été  promu au poste de Ministre d’Etat à Monaco et E. Borne est passée au Travail (pas forcément une promotion).  B. Pompili et J. Toubon sont aux abonnés absents. Comme pour les forces de l’ordre qui n’osent plus se rendre dans certaines cités, l’administration du pays se dissout lorsqu’il s’agit de rappeler le droit aux « parrains » de PACA (et probablement d’ailleurs).